Republic

Dans une petite pièce de six mètres carrés, Li Eryang tente de mettre en pratique son communisme et créer une république pour ses « Cosmos Brothers ».

C’est un étrange phalanstère, planqué dans une étroite ruelle de Pékin, saturé de corps et de fumée âcre, de rock planant et de lumière psychédélique. Hors du temps, ou plutôt : venu d’un temps doublement lointain – un demi-siècle en arrière, et à l’autre bout du monde. Surprenant voyage que celui de ce songe communiste hippie, déplacé dans la Chine contemporaine depuis les seventies occidentales auxquelles Mao avait fourni matière à rêver. Mais l’étonnement ne masque pas longtemps une certaine évidence historique : la croissance à marche forcée qui a vu la Chine embrasser le règne du capitalisme ne pouvait qu’enfanter, fût-ce à une échelle infinitésimale, ce genre de contre-poison utopique. Le film de Jin Jiang, toutefois, fascine bien au-delà de cette relative incongruité qui voit une jeunesse chinoise trouver sa voie de secours chez Pink Floyd et dans le haschich. Précisément, c’est la dimension infime de l’utopie qui interpelle ici. Étroitesse toute mélancolique du rêve, à peine rêvé qu’il est menacé de disparaître. Et surtout : exiguïté concrète et aberrante de cet îlot surpeuplé, l’appartement d’Eryang, sans cesse débordé par sa généreuse hospitalité, dessinant pour le film un défi que celui-ci relève brillamment en prenant le parti de s’asseoir parmi les rêveurs. Comme le dit Eryang, superbement : on peut s’asseoir partout quand on a un rêve, « même sur une tête d’épingle ».

Jérôme Momcilovic

Lire l’entretien avec Jin Jiang