Images d’Orient, tourisme vandale

À partir des négatifs d’un film tourné en Inde, dans le milieu de la haute bourgeoisie, à la fin des années 20, au moment de graves tensions anticoloniales : les cinéastes décomposent les images, les répètent, les recadrent et les colorent, à la recherche des gestes et des attitudes des Occidentaux en Orient. Le film se compose de deux parties : des scènes de rue, sorte de catalogue de la misère, et l’exhibition d’élégance, de richesse et de puissance de la tutelle coloniale. La voix de Giovanna Marini chante des textes d’Henri Michaux et de Mircea Eliade qui contribuent à révéler la violence de la domination coloniale sous l’harmonie de l’image « exotique ».

« Rien de comparable avec cette approche de la mémoire inflammable de la pellicule nitrate, où faits et méfaits du siècle, leurs parenthèses de grâce et leurs litanies de dévastations se sont imprimés. De ces fragments de mondes enfouis, “Les Gianikian” ressourcent littéralement les traces révélatrices de notre aujourd’hui. Ils les triturent photogramme après photogramme, par le prisme de leur “caméra analytique” – agrandissements de détails, colorisation de l’image, ralentissement des séquences…
Ici les deux cinéastes décomposent le spectacle de la domination et de l’oppression du côté de l’Orient, à partir d’un film tourné en Inde en 1928 et 1929, époque de graves tensions anticolonialistes. Ce sont là des Européens ostensiblement privilégiés, accompagnés d’officiers et de prélats, qui préfigurent le phénomène du tourisme “vandale” de masse. Maintien et poses, luxe des atours et des équipements en souveraine arrogance au milieu du dénuement et de la servitude… Musique de Luis Agudo, Francesco et Giovanna Marini, qui chante les mots d’Henri Michaux et de Mircea Eliade. »

Valérie Cadet, Le Monde, 28 octobre 2001