La force du cinéma est de nous donner accès à d’autres expériences que la nôtre, d’autres regards, d’autres imaginaires. Et par un geste qui nous oblige à voir, les cinéastes nous entraînent dans leur propre univers. Le cinéma peut ainsi être – comme l’écrit Walter Benjamin – une entreprise de pénétration intensive du réel. Entreprise qui doit nous permettre d’appréhender le monde sans être mystifié par le flux continu des événements. Et c’est peut-être par des œuvres qui inquiètent, qui bousculent les imaginaires, qui confrontent à d’autres désirs, d’autres aspirations, d’autres rêves, qu’une discontinuité se produit dans ce déroulement implacable de la réalité.
Ces œuvres ne font pas le récit d’un autre monde qu’il s’agit d’atteindre mais de notre monde, autrement, dans un formidable geste de profanation des dispositifs dominants. Amit Dutta, Antoine d’Agata, Sharon Lockhart, Apichatpong Weerasethakul, Pierre Creton, Ben Russell & Ben Rivers, Luis López Carrasco, Fern Silva, dessinent ensemble un mouvement cinématographique mondial de l’altérité revendiquée. Cet ensemble complète les rétrospectives de Franssou Prenant, Olivier Zabat et Jean-Pierre Gorin. Chacun, non pas à la marge du cinéma mais à sa tangente, filant tout droit son chemin cinématographique à la fois politique et sensible.
Avec Jean-Luc Godard, au sein du groupe Dziga Vertov (1967-1973), Jean-Pierre Gorin a créé un cinéma subversif qui fusionne positions politiques radicales, goût revendiqué pour la théorie et tentative de comique burlesque. Plus tard aux États-Unis, Jean-Pierre Gorin poursuit une œuvre personnelle et énigmatique, à la fois étude philosophique et méditation sur la vie américaine réelle et imaginaire.
Les films de Franssou Prenant sont autant de voyages dans le temps et dans l’espace, dans la vie même et dans le passé, tout à la fois films d’amour et de mémoire, d’histoire et de philosophie, journal de bord et fables. Si plusieurs de ses films remuent l’histoire coloniale et ses remugles, que ce soit en Guinée, en Algérie, au Liban, en Syrie ou à Paris même, chacun d’eux nous plonge dans une vision sensorielle et cinétique du monde.
Dès ses premiers films, le cinéma d’Olivier Zabat a cela d’unique qu’il rend palpable la manière particulière dont chacun habite le monde, qu’il soit marginal, considéré comme fou, ou simplement différent. Malgré l’étrangeté qui plane, le malaise qui sourd, la stupéfaction qui s’installe, le spectateur fait la mystérieuse expérience de l’empathie. En cela, le cinéma d’Olivier Zabat est un cinéma absolument hospitalier.
Catherine Bizern