Cahiers du Réel #5 - Hommage à Marie-Pierre Duhamel

Toute une nuit

Par Catherine Giraud

Hommage à Marie-Pierre Duhamel-Müller

Grande programmatrice, Marie-Pierre Duhamel-Müller fut déléguée générale de Cinéma du réel de 2005 à 2008 mais elle fut bien plus que cela.

C’est à la formidable passeuse qu’elle était que nous rendons hommage cette année à travers une programmation emblématique de ses choix et de ses découvertes. Une nuit pour nous rappeler sa curiosité, son érudition, son inspiration et son humour.

« Ne jamais croire que l’on sait, accepter d’être pris à revers, en écharpe, dépassé. Fermer l’œil et ouvrir les yeux. Accepter de suivre l’histoire et oublier le reste. Etre heureux qu’il n’y ait pas d’histoire. Aimer ne pas tout comprendre, et avoir le sentiment d’en savoir plus. Raconter une scène, ou un plan, à d’autres, cinquante fois dans la semaine. Se laisser penser à d’autres films, et les revoir. Potasser des livres, parler à ceux qui en savent long.
« Croire à son ennui et à sa patience. Voir les ficelles, la rhétorique, le clavier de montage virtuel substitué au montage, la parole qui sautille, in, off, clic, clac. Voir à l’œuvre l’intégration des codes dominants, voir aussi quand ils sont débordés. Voir la scène qui s’étire, en dépit du bon sens, et se méfier du bon sens. Voir les films comme ils sont, et comme ils sont faits. Les pauvres moyens des pays sinistrés, l’encadrement chez les riches, la nécessité d’être conforme, le farouche besoin d’être seul.
« Supposer la salle, le noir, l’écran. Et 1800 cassettes et DVD plus tard, savoir qu’on n’a fait ni un «état des lieux », ni un « bilan », ni un manifeste. Il est temps alors de regarder le paysage éphémère que compose le programme, d’y voir l’inquiétude d’un monde d’autant plus complexe que ses maîtres le disent simple. De voir l’histoire (et celle du cinéma aussi) au travail pour que les liens se renouent, que le présent gagne en lisibilité, que l’enfance se remette à parler. De voir le cinéma documentaire rendre sensible ce qui est fugace, intérieur, à l’écart, lointain, inachevé et mouvant. Et enfin, de compter sur les spectateurs sensibles de Cinéma du Réel pour tout recomposer. »

Marie Pierre Duhamel-Müller

édito du catalogue de Cinéma du réel 2006

Dans la nuit du vendredi 29 au samedi 30 mars de 20h à 8h. Cette nuit se terminera par un petit déjeuner offert aux spectateurs.


2014 | Rebelle à Los Angeles, un nouveau cinéma afro-américain

« Homme du Sud, élevé dans le ghetto de L.A., étudiant puis tuteur attentif à UCLA, Charles Burnett serait en apparence le moins directement « politique » de ces cinéastes. On dit qu’il incarne le courant « néoréaliste » du cinéma noir; il mentionne souvent l’impression que lui fit L’Homme du sud de Jean Renoir (1945), et dit avoir trouvé dans le documentaire le mode de « narration lyrique», la « calme et lente découverte de l’humanité » dont il fera sa marque. Mais si Burnett est le bluesman des travailleurs noirs, des quartiers rongés de pauvreté et menacés par la violence où l’humour et la beauté fugace des instants font barrage à l’apitoiement, il est aussi le peintre subtil des tensions de classe et des contradictions d’un monde afro-américain issu de décennies de ségrégation, de harcèlement et de dépossession. »

Marie Pierre Duhamel-Müller
en écoutant Paul Robeson
Catalogue de Cinéma du réel 2017. « Rebelles à Los Angeles- Un nouveau cinéma afro-américain », extrait

Several Friends

Charles Bunett
1969 / Etats-Unis / 22 min

Le premier film de Charles Burnett documente un jour dans la vie de quelques amis, dans le ghetto de Los Angeles : une bagarre, une voiture à réparer, une machine à laver récalcitrante… Andy, Gene et leur entourage, dans l’ambiguïté du ghetto comme solidarité et comme isolement.


2014 | La Nuit a des yeux | programme #2 – Histoire de la nuit

« Teindre la pellicule en bleu pour indiquer que la scène est nocturne. Tourner en «nuit américaine » (day for night) en évitant les ciels. Chercher les réverbères, le néon, le reflet des vitrines. Éclairer visages et décors. Augmenter temps d’exposition (rendre les objets mobiles fantomatiques) et ouverture (perdre en profondeur de champ).
Pousser la sensibilité des pellicules. Et quand vient le temps où les capteurs numériques y voient plus que nos yeux, travailler parfois à « éteindre » ou à colorier… Depuis les débuts du cinéma, la nuit défie et enchante la prise de vue. Ainsi mise à l’épreuve, la « fabrique du cinéma » — l’exposition, le défilement, l’émulsion, le pixel, les capteurs – devient la matière même des figurations, des récits et des expérimentations. (…)
Supernovas de néons, city symphonies graphiques, soleils artificiels de la réclame : l’avant-garde des années 1920 (Eugène Deslaw) et plus tard William Klein – qui dit avoir pensé aux ready-mades de Duchamp pour filmer les réclames de Times Square – filment le devenir-jour d’une nuit presque vaincue par le triomphe électrique »

Marie Pierre Duhamel-Müller
Catalogue de Cinéma du réel 2014, « La Nuit a des yeux »,

Les Nuits électriques

Eugène Deslaw
1928 / France / 9 min

Broadway by Light

William Klein
1957 / France / 11 min

… « La grande ville-lumière est restée une figure centrale, mais au vertige électrique se substitue souvent la recherche de ce que la lumière cache plus qu’elle ne révèle, comme chez Emily Richardson »

Nocturne

Emily Richardson
2002 / Royaume-Uni / 5 min

Plans fixes, time-lapse, éclats sonores : histoires enfouies dans les rues désertes de Londres.

« À la sortie de la projection berlinoise du Geschichte der Nacht de Clemens Klopfenstein, Serge Daney note : « Ici, c’est par définition que le sujet, la nuit, est inépuisable […] Filmer la nuit c’est faire soudain rimer la nuit filmée avec la nuit réelle de la salle de cinéma, c’est faire déborder le film sur la vie (j’avoue pour ma part avoir délibérément manqué le dernier métro et traversé une partie de Berlin en pleine nuit malgré la neige). C’est aussi ramener notre perception à ce moment improbable de l’histoire du cinéma, entre “muet ” et “ parlant ”, moment où se matérialisent nos hallucinations auditives. » (Cahiers du cinéma, n° 299)
Grain vibrant du 16 mm poussé dans ses retranchements, monde sans frontières d’une expérience commune : ce film de 1978, qui bouleverse à chaque vision, sera le guide de ce petit programme. »

Geschichte der Nacht
Histoire de la Nuit

Clemens Klopfenstein
1979 / Suisse / 63 min

« Ici, c’est par définition que le sujet, la nuit, est inépuisable. Il s’agit de la nuit dans les villes, petites
ou grandes, bourgs ou métropoles, silencieuses ou sonores, mortes ou agitées. Chacun reconnaît ce
qu’il peut…Le montage de Klopfenstein, non-systématique, non métaphysique, reste, lui aussi, très
mystérieux. »


2015 | De l’autre côté du miroir, rétro Amit Dutta

« Depuis ses premiers essais, [Amit Dutta] ne cesse de travailler la forme- cinéma comme processus de connaissance, et c’est en chercheur qu’[il] arpente le territoire qu’il s’est donné, entre le Jammu-et Cachemire de son enfance et l’Himachal Pradesh, tout au nord de l’Inde. En chercheur aussi que depuis des années, il se consacre au monde des arts et des historiens d’art, de la peinture à l’architecture.
Les idées qui guident sa recherche se rapportent à la tradition indienne de l’esthétique, qui n’envisage les différents arts qu’ensemble. Pour Dutta, l’image peinte ou dessinée, la note de musique ou le texte imprimé ont le même poids que le plan filmé. Un film peut être un texte littéraire, délivré de l’adaptation (…), la représentation et la fiction se tissent au réel (…), les souvenirs peuvent se voir.
Si l’on pourra penser au cinéma d’Alain Resnais, à celui de Paradjanov ou de Mani Kaul, quelques unes des figures importantes de la formation de Dutta, on verra vite ce qu’a de personnel et d’unique la palette du cinéaste. Ainsi de l’élégance de mouvements d’appareil qui augmentent ou déplacent les espaces et dont la subtile répétition suscite l’attention sans entamer leur mystère. »

Marie Pierre Duhamel-Müller
Catalogue de Cinéma du réel 2015, « De l’autre côté du miroir », rétrospective Amit Dutta, extrait

Gita Govinda

Amit Dutta
2013 / Inde, Suisse / 34 min

Le Gita-Govinda, célèbre poème lyrique de la littérature sanscrite du XIIe siècle, chante les amours tourmentées du jeune dieu Khrisna et de Radha, métaphore de l’élan du croyant. Mise en scène et partition sonore animent les miniatures d’un souffle enchanté.


2008 | Cinéma du réel, « Pour une histoire de la « vue » : Figures du tourisme »

Images d’Orient, tourisme vandale

Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi
2001 / Italie, France / 62 min

À partir des négatifs d’un film tourné en Inde, dans le milieu de la haute bourgeoisie, à la fin des années 20, au moment de graves tensions anticoloniales : les cinéastes décomposent les images, les répètent, les recadrent et les colorent, à la recherche des gestes et des attitudes des Occidentaux en Orient.

Venise n’existe pas

Jean-Claude Rousseau
2008 / France / 10 min

« S’il se penchait par la fenêtre, s’il faisait ce mouvement au risque de tomber ou de laisser tomber la caméra, s’il se penchait jusqu’à tomber, il verrait, on verrait, par-delà l’embrasure, les îles habitées, les églises et les palais où les bateaux vont accoster. »


2007 | Cinéma du réel, «Histoire(s) Allemande(s)»

«[Les] ces héroïnes d’Alexander Kluge, toujours pressées et traînant de lourdes valises, creusant la terre comme on « creuse » un problème, prenant les mots au mot et leurs décisions au sérieux… »

Marie Pierre Duhamel-Müller
Catalogue de Cinéma du réel 2007. Extrait de son édit

Frau Blackburn, geb. 5 Jan.
1872, wird gefilmt
Mme Blackburn, née le 5 janvier
1872, est filmée

Alexander Kluge
1967 / Allemagne / 14 min

Mme Blackburn, 95 ans (et grand-mère du cinéaste) est entraînée dans un récit de sa vie, face à une caméra qu’elle accueille avec une charmante urbanité. Mais voici, dans ce quotidien de porcelaine et de meubles bien cirés, une mystérieuse affaire de boucles d’oreilles…

Besitzbûrgerin Jahrgang 1908
Propriétaire, née en 1908

Alexander Kluge
1973 / Allemagne / 11 min

Madame Schneider fait des travaux dans sa grande maison, cuisine, surveille le retour des tapis un montage de documents remonte le cours de sa vie, jusqu’à 1908 : histoire d’une bourgeoise. Un acheteur entreprenant s’intéresse à la vaisselle qu’elle veut vendre.


2006 | Cinéma du réel

Comment échapper à la représentation télévisuelle clippée de la musique électronique ? En quelques plans séquences, et par le travail minutieux du cadre, des groupes de la scène musicale électro (Alter Ego, Captain Comatose, CobraKiller…) font entrevoir les pratiques, les rituels, les systèmes de représentation et de fabrication qui les lient à leur public.
« Comment filmer la musique de manière à mettre les artistes et la musique au premier plan… tenter, à une seule caméra, de trouver la place pour filmer les artistes de cette “sous-culture” devenue phénomène international, de sorte que soient lisibles les stratégies de leurs spectacles. Un plan unique de la durée du morceau serait peut être le mode le plus adapté pour montrer aux spectateurs d’une salle de cinéma cette réalité dans laquelle ils vivent. Même si les spectateurs ne veulent pas vraiment le savoir… le film tente d’élargir notre répertoire visuel. »

Catalogue de Cinéma du réel 2006. compétition

Between The Devil And The Wide Blue Sea

Romuald Karmakar
2005 / Allemagne / 90 min

Comment échapper à la représentation télévisuelle clippée de la musique électronique ? En quelques plans séquences, et par le travail minutieux du cadre, des groupes de la scène musicale électro (Alter Ego, Captain Comatose, CobraKiller…) font entrevoir les pratiques, les rituels, les systèmes de représentation et de fabrication qui les lient à leur public.

La Fabrique du Conte d’été

Françoise Etchegaray
2005 / France / 90 min

Le film compose, à l’aide de rushes et d’images du tournage, une seconde fiction du Conte d’été d’Eric Rohmer : invitation à entrer dans la fabrique du réel qu’est le cinéma, à découvrir un deuxième conte. « Moi, j’ai l’impression que le monde existe autour de moi, mais pas moi. Je suis transparent, invisible. Je vois les autres, mais ils ne me voient pas ». (Gaspard dans le Conte d’été)

« Sur la plage de Dinard un dimanche, en plein juillet. Dans la torpeur ordinaire, un groupe de jeunes gens et de jeunes filles s’affaire énergiquement. Leur activité est de celles qui attirent généralement les regards. Mais personne ne semble leur prêter attention. On voit bien que ce sont des amateurs (…) Ces jeunes gens sont flanqués d’un étrange intervenant, nettement plus âgé mais toujours en alerte ou en action. Nosferatu à la plage ? Il est protégé du soleil par d’ingénieuses constructions de tulle ou de paille, et il veille à tout (…) On le voit régir avec efficience la circulation, écarter le flot des passants à l’avancée de la caméra. Aussi retirer alertement du champ une poubelle fâcheusement disposée, ou récurer promptement la plage de Saint-Lunaire à marée basse avant la prise. (…) Il ne hausse jamais le ton, semble parfois très hésitant. Mais sa rapidité de décision peut aussi s’avérer foudroyante. Aucune posture de maîtrise dans tout cela, bien au contraire (…) Personne sans doute parmi les estivants inattentifs ne soupçonne que l’un des cinéastes les plus admirés, les plus célébrés, les plus commentés au monde, l’un des plus jeunes aussi, opère devant ses yeux distraits. Transparent, invisible. La Fabrique du Conte d’été est un voyage dans le film et dans ce qui tisse le film à la robe sans couture de la réalité, selon la formule canonique, mais toujours fraîche, de Saint-Bazin de Nogent. Qu’est-ce que la mise en scène ?

Jean-André Fieschi


2005 | Cinéma du réel, Grand Prix

« Peu à peu le présent envahit le paysage : le château sera un hôtel de luxe, la ligne de crête se hérisse d’éoliennes. à la télévision, des nouvelles d’une guerre lointaine ravivent les souvenir d’une autre, une guerre civile. Une campagne électorale passe sans s’attarder. La prochaine étape est-elle un voyage sur la
planète Mars? Le peintre qui perd lentement la vue commence un nouveau tableau. »

Catalogue de Cinéma du réel 2005. compétition

El Cielo Gira
Le Ciel tourne

Mercedes Álvarez
2004 / Espagne / 103 min

Aldealseanor, quelque part en Castille. Mercedes Alvarez revient dans ce village qu’elle a quitté à l’âge de trois ans pour y filmer pendant quatre saisons ses quatorze habitants, leur mémoire et leur présent.


2006 | Cinéma du réel, compétition

«Muni d’une caméra DV, le cinéaste se rend à l’Université de Pékin et sur la Place Tian’an Men. Sur les wagons du métro, une pancarte annonce : « Désinfecté ce jour ». C’est le 4 juin 2005. Le cinéaste interroge les passants : quel jour sommes-nous ? Quelle est cette date ? Les passants se dérobent : c’est un sujet dont on ne parle pas. Rares sont ceux qui citent le 4 juin 1989 et le mouvement étudiant. Les plus jeunes ne savent peut-être rien, tout simplement. D’autres respectent prudemment la loi du silence ou les formules officielles.»

Catalogue de Cinéma du réel 2006. compétition

Wangque de Yitian Ce 4 juin-là

Liu Wei
2005 / Chine / 13 min

C’est le 4 juin 2005. Ne serait-ce pas un anniversaire ? À Pékin, les passants hésitent à se souvenir de ce qui s’est passé il y a 16 ans.


2006 | Cinéma du réel, compétition

Comment vivent les artistes dans le monde chinois tel qu’il est aujourd’hui ? Peintres ou poètes, ils retrouvent les errances somnambuliques, les échanges désespérés sur l’art, l’amour ou la philosophie qui composaient la figure de l’artiste à l’âge classique. Dans une ville étouffée par l’été, le plasticien Li Wake vient aider le peintre Wang Yongping à faire un film. Les frontières entre vrai et faux, création et existence, sont abolies. Li se trouve un compagnon d’errance, le jeune « Beibei Face de démon», gardien de nuit et poète. L’atelier de Ding Defu, peintre expressionniste à la dérive guidé par la biographie de Van Gogh, sert de lieu de rencontre et d’invention. Ils aiment tous à circuler nus, à faire de leurs corps des objets poétiques entre provocation et abandon des rôles sociaux. «Le désordre de notre monde est semblable au désordre de nos cœurs ».

Catalogue de Cinéma du réel 2006. compétition

Meng You Le Voyage poétique

Huang Wenhai
2005 / Chine / 85 min

Ils sont peintres, poètes, musiciens, performeurs… dans l’étouffant été pékinois, ils improvisent un film, ils inventent leur vie, ils parlent littérature, art et religion. Ils renouent avec l’excentricité et l’errance des poètes de l’âge classique. S’ils aiment tant à être nus, c’est peut-être pour tout abandonner des rôles absurdes que la société leur assigne.

Catherine Giraud est attachée de presse à Cinéma du réel, au fifib, festival du film indépendant de Bordeaux, à ENTREVUES – Festival de Belfort et à la Quinzaine des Cinéastes